Que ressens-tu aujourd’hui ?
Plusieurs tirs de chasse retentissent au loin (jusqu’alors inaudibles).
La chasse t’impacte-t-elle ?
Oui les animaux sont nos
amis. Nous ressentons leurs peurs et leurs fuites.
Les hommes de l’ONF viennent de m’expliquer que les sangliers et
les cerfs mangent tes fruits, les glands et leurs jeunes pousses. Pour cette
raison, ils ferment la parcelle dans laquelle tu vis pour que tes fruits
puissent germer et donner naissance à de nouveaux chênes. Qu’en penses-tu ?
Les animaux sont nos amis.
Nous ne leur reprochons ni de manger nos fruits et leurs pousses, ni de
labourer notre terre. Nos branches se cassent et laissent passer suffisamment
de lumière pour que les fruits puissent germer.
Ils disent que dans 20 ou 30 ans, lorsque les jeunes pousses seront
suffisamment grandes, ils ouvriront les parcelles et t’abattront toi et les
autres vieux chênes.
Que sont 20 ou 30 ans
relativement à nos vie de centenaires ? Nous sommes la mémoire du lieu. C’est
nous qui la transmettons à nos jeunes.
Je suis la dernière humaine que tu verras passer près de toi.
Détrompes-toi, je vois et
sens de loin. Je ressentirai tous les hommes qui passeront au-delà de la
clôture.
Je remercie ce premier chêne
et vais me ressourcer auprès d’un autre.
Là encore il émet une
mélancolie et me répond :
« Je ne peux pas être
en paix. Entends-tu ce corbeau ? Il sonne l’alerte. ».
A nouveau, des tirs de
fusils résonnent alors qu’ils s’étaient tus depuis la première salve. Comme si
l’arbre me prévenait des coups de fusil à venir.
Un troisième me déclare que
les animaux sont leurs amis, qu’ils sont heureux d’accueillir les oiseaux. Il
confirme que 20 ou 30 ans c’est presque l’équivalent d’une étoile filante à
leur échelle. Il n’a pas de répit malgré la saison hivernale. Il ne fait pas
assez froid, l’énergie est toujours flottante à hauteur du sol. A cela s’ajoute
une résonnance permanente et perturbante : la route au loin, les moteurs d’avion
qui résonnent dans leurs branchages et les tirs de fusil, sans compter les
tracteurs et ustensiles pour clôturer la parcelle. Les hommes ne leur laissent que
peu de répit. Le seul qu’ils peuvent espérer est celui de l’hiver. Nous y
sommes mais l’activité humaine ne s’arrête pas.